Tout commence avec un tweet du Canard Enchaîné. Un teaser. Une phrase, sans complément, sans source, sans preuve, mais c’est déjà assez pour que des personnalités, comme Fabrice Arfi (journaliste d’investigation à Mediapart), et de nombreux Français reprennent l’information et salissent Alexis Corbière, et d’une vision plus large, sa femme Raquel Garrido et la France Insoumise.
À partir de là, des accusations pleuvent sur le couple insoumis ainsi que les retours sur le Canard Enchaîné et Fabrice Arfi. Mais là se pose déjà un problème. À une époque où le monde est ultra-médiatisé et où une très grande partie de la population, surtout les jeunes, plus ou moins influençables, traînent sur les réseaux sociaux, il devient inadmissible d’accuser une personne par un simple teasing d’un article sans aucune preuve à fournir. Peu importe si c’est la vérité ou non d’ailleurs : ça salit toujours et les journalistes – moins bêtes qu’ils pourraient paraître – le savent pertinemment. Très vite, les intéressés répondent à travers un tweet et un communiqué : tentative d’éteindre l’incendie préméditée, à défaut d’avoir pu sauver leur appartement d’un autre incendie.
Le mal est fait. Très vite, la toile se déchaîne et les médias se font un plaisir d’écrire et de partager régulièrement leur article sur ce sujet, certains incluant des fake-news au sein même de leur titre. On peut citer Le Progrès ou encore Le Figaro. Ceux-ci affirment que Alexis Corbière a reçu des « aides sociales », or, l’ANAH (agence nationale de l’habitat) n’octroie pas des « aides sociales » mais tout simplement des aides incitatives. Erreur journalistique ? On peut en douter. Les journalistes sont censés être diplômés d’un bac +5 et être cultivés. Et l’objectivité du journaliste n’est qu’un mythe. Inclure les termes « aides sociales » permet de dénigrer activement Alexis Corbière, car il faut remettre les choses dans leur contexte : à une époque, mais surtout à un moment chaud depuis les hausses des taxes, où il est très mal vu de dilapider l’argent public, le fameux « argent du contribuable ». Il est certain que s’ils avaient mis « aides incitatives », l’effet, tout de suite, serait moins grandiose. Et le comble est de dénoncer qu’un député, faisant parti d’un mouvement combattant avec force les fraudes et l’optimisation fiscales, fraude/optimise lui aussi. Un genre d’accusation en titre qui peut vite rapporter des lecteurs. En effet, il ne faut pas oublier que les médias numériques, quand les articles sont accessibles gratuitement, font leur beurre avec les nombreuses publicités. Finalement, ils cherchent vos « clics », ne connaissez-vous pas le dicton : « quand c’est gratuit, c’est vous le produit » ?
Mais dans la société ultra-médiatisée et ultra-connectée et où les articles sont instantanément partagés sur les réseaux sociaux, les lecteurs sont immensément nombreux – face au nombre hallucinants d’articles – à ne lire que les titres d’articles. Des titres qui contiennent une idée, souvent très éloignée de ce qu’exprime le corps d’article, qui est plus nuancé. Nous sommes ici dans le parfait exemple : quand on regarde l’ensemble des titres des articles, la formule est presque toujours la même. Pourquoi si peu de diversification ? Non seulement pour attirer les lecteurs comme je l’ai dit, mais c’est parce qu’il est difficile d’énoncer le sujet autrement, sinon ça reviendrait à ne pas caricaturer le propos et donc à attirer moins de lecteurs. C’est-à-dire que tous ceux qui ne lisent pas les articles inscrivent dans leur, même implicitement, l’idée qu’Alexis Corbière a fait quelque chose considérée comme mauvais (de toutes façons : les médias ne traitent jamais de choses bien jolies, soyons d’accord!). Et évidemment ça vaut pour tous les sujets et tous les individus ou groupes d’individus.
Mais outre la forme du titre, le corps de l’article semble presque identique à chacun des médias, au point de poser à nouveau la question : existe-t-il une pluralité des médias ? La presse ne serait finalement qu’un seul journal, dissocié en différents titres ? Dans la quasi-totalité des articles (ex : L’Express, Le Monde, Le JDD, Le Parisien), on retrouve la même structure :
- L’introduction de la polémique en évoquant le « très modestes » et le fait que c’est légal à chaque fois.
- La référence au Canard Enchaîné
- La référence à l’ancien HLM du couple.
- Le « bon timing » : l’explication du fait que c’est légal
- La réaction d’Alexis Corbière
- Une conclusion qui semble d’accord avec Alexis Corbière
Ca nous pose la question de la neutralité journalistique ? On sait pertinemment que le journaliste n’est jamais objectif, il a toujours un avis. Ce qui est reproché aux médias est de se barricader avec la barrière de l’objectivité alors que ses acteurs sont partisans. Finalement, les articles sont courts et il n’y a aucune analyse délivrée par les médias, notamment parce que les articles doivent être publiés très vite ! (l’argent encore une fois). Tout cela forme quelque chose d’assez flou… D’ailleurs, on peut se demander comment le Canard Enchaîné a eu l’information : serait-ce suite aux différentes perquisitions ? Mediapart avait eu bien eu accès aux informations concernant Mediascop quelques jours après ces dernières. Toutefois, Alexis Corbière sur son compte personnel Facebook donne quelques indices, sans pour autant dévoiler son identité au public, sur celui/celle qui a donné les informations à la presse et sur son parti. Chacun se fera une idée ici.
Maintenant que nous avons vu la forme qui donne déjà un fond, voyons le fond du sujet en lui-même. Le caractère légal de l’action n’est pas discutée, tout le monde est d’accord là-dessus. C’est sur le caractère moral que les commentateurs insistent. Si vous avez lu le communiqué d’Alexis Corbière, vous avez la cause de l’évènement : un incendie qui a brûlé leur domicile en février 2018. Contraint de reconstruire/réhabilité/réaménagé, le couple décide par la même occasion de le rénover pour diminuer leur empreinte écologique, pour faire diminuer les factures et pour montrer l’exemple de la transition écologique. Pour cela, ils font appel à l’ANAH, un service public qui met en place une aide incitative pour que les particuliers, sous conditions de ressources, rénovent leur logement, de manière plus écologique. Comment ils incitent ? Tout simplement, après leur expertise longue et complexe, en prenant en charge 50% du coût des travaux, et les 50% restants reviennent aux particuliers.
Ce qui est reproché à Alexis Corbière, c’est d’avoir utilisé cet argent public pour la rénovation de son logement alors qu’il en avait les moyens. En effet, au moment où il a demandé cette aide, il n’avait plus les mêmes revenus que l’année pour laquelle les revenus fiscaux étaient demandés. Sauf que, si vous ce n’est plus votre maman qui remplit vos documents fiscaux, vous remarquerez que pour chaque dossier à remplir où une aide peut vous être octroyée, ce n’est pas l’année actuelle pour le revenu fiscal qui est demandée, mais toujours un an ou deux auparavant (n-1 ; n-2). De ce fait, ni vous ni Alexis Corbière n’êtes la cause de la date demandée pour les revenus fiscaux, ce qui fait qu’il a pu percevoir cette aide qu’il n’aurait sans doute pas eu le droit d’avoir si le revenu fiscal demandé était celui de 2018. Certains parlent d’optimisation fiscale. En est-elle ? Pas sûr, et il ne faudrait pas la comparer à l’optimisation fiscale des riches pour s’enrichir, qui s’établit sur un temps long (en théorie infini s’ils ne se font pas attraper) à une optimisation fiscale éphémère, pour réduire son empreinte écologique et due à des circonstances particulières (incendie, justifiant ainsi l’obtention de cette aide destinée, entre autres, à des logements précaires : un logement incendié est plus que précaire…).
Mais en quoi son acte est grave ? Avait-il les moyens ? On ne sait pas, il est bien indiqué qu’en plus de l’aide, il a dû emprunter à la banque et personne ne peut prétendre connaître le prix que ses travaux ont coûté, et les plafonds de ressources ne sont pas, comme j’ai pu le lire, une limite qui indiquerait que au-delà les travaux de rénovation écologique (plus chère qu’une rénovation normale) puissent être payés. Et même s’il en avait les moyens, est-ce si grave ? Chaque année est attribuée un budget à l’ANAH lui permettant de rénover 100 000 logements, mais seulement 80 000 d’entre eux le sont : prouvant ainsi que le dispositif n’est pas énormément connu et autant sollicité qu’il pourrait l’être. Est-ce si grave d’avoir perçu cette aide qui a été créée spécialement pour rénover les logements ? Ce n’est pas une aide sociale (= une aide considérée comme obligatoire, comme devoir de l’Etat envers les plus pauvres) mais une aide incitative. Et est-ce que la polémique n’existe pas seulement parce que c’est une personnalité qui le fait ? Peut-être qu’elles sont très nombreuses ces personnes cette « faille ». Mais doit-on en leur vouloir ? N’est-il pas plus urgent, au lieu de polémiquer, de rénover toutes ces habitations pour réduire notre empreinte écologique ? Le dérèglement climatique concerne tout le monde. Donc non seulement Alexis Corbière ne gaspille pas l’argent public de l’aide (car il y a du rab) mais surtout il ne prend la place de personne (comme j’ai pu le lire), et surtout pas des plus pauvres qui sont bien plus préoccupés par leur survie et par l’argent qu’ils peuvent avoir à la fin du mois que de rénover leur logement. D’ailleurs, parmi les commentateurs du couple, ce ne sont finalement pas des personnes qui veulent comprendre/apprendre, mais des détracteurs qui ne voient aucunement le fait positif : celui de réduire l’empreinte écologique des particuliers, le plus drôle étant les soutiens d’Emmanuel Macron. Make our planet great again, n’est-ce pas ? Enfin : qui connaissait réellement l’Anah avant cette polémique inutile et vide de fond ? Qui, parmi les détracteurs, se sont renseignés sur le sujet avant de commenter ? Combien d’entre eux ont lu les articles des médias ? Combien sont allés sur le site de l’Anah ?
Une urgence écologique que ne semble pas comprendre Olivier Truchot qui trouve que la France est un pays d’assistés, comparant le prix (et donc l’aide) de la rénovation au logement (dans le cadre, je rappelle, de la réduction de l’empreinte écologique des particuliers et du développement durable) au prix… d’un vélo. Mais ne prenons pas cette émission radio pour compte, après tout son titre « Les Grandes Gueules » en dit déjà long…
C’est finalement une polémique sans fond, mais le mal est déjà fait : Alexis Corbière et son entourage sont salis, et l’esprit des gens a absorbé cette idée. Exemple typique du pouvoir que les médias ont sur la société. Point positif de la polémique : le programme de l’ANAH est désormais mieux connu. Ajoutons en dernier point que même certains auteurs de billets s’excusent comme Wael Mejrissi qui critique sévèrement le Canard Enchaîné pour son article « qui transpire d’une mauvaise foi impressionnante ».
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